Les quatres

Àðîäèñ
 Il’avait beaucoup d’imposteurs, mais nul n’est coupable de cela.
 Comment decrir la lune pour ceux qui ne l’ont jamais vue? La curoisite et l’impatience sont propres aux hommes. Laissons-les discuter sous le ciel etoile jusqu’a ce que le disque nacre monte.
 Ils etaient quatre a venir, les souverins veritables.
 Celui qui est venu le premier avait la haute main sur les arc-en-ciel, les chutes-d’eau, les lames lumineuses qui penetrent la profondeur de la mer. La luisance de la poussiere de la neige, l’or du feuillage, des epis, du miel et des fruits dont on peut boir le suc a mort comme la joie demesuree – tout ca, c’etait son royaume, ses soutanes, ses amusements, son corps et son sang. Le monde du Premier etait un matras scintillant, bouillonant par des bulles irrises inombrables.
 Il avait les yeux emeraudes, des vetements blancs et le corps de bronze. Les voix des oiseaux, le bourdonnement chaud des prairies d’ete etaient sa musique. L’aimer, cela signifiait se dissoudre comme une granule de sel dans la vague marine, pousser les branches d’or dans le ciel. Mais le temps de la naissance est arrive, et je suis nee dans l’etreinte du Deuxieme, en etant devenu muette de la douleur.
 Le Deuxieme dominait des tenebres de toutes les sortes: consolantes et terribles, caressantes et effroyables. L’obscurite des cavernes et des terrieres, des alcoves avec des stores baisses, des recipients scelles et des ecrins boucles ou on garde des morceaux de nuit, le passe et des secrets, - tout ca, c’etait son royaume.
 Il glissait vite et sans bruit dans ces corridors sombres que nous voyons en fermant les yeux. Il avait la haute main sur les eaux noires, violettes et pourpres, - celles qui submergent le conscience des mourants, des souffrants et des saisis par la passion.
 Son feu etait la scintillation des braises sous la cendre. Des sons de l’obscurite – le chuchotement, le frolement des toiles et des pas, la sonnerie courte, le pleure et le rire etrangles – etaient sa musique. Il avait les yeux grands et presque decolores; son corps etait le corps desosse d’un sorcier.
 Il se transformait en hibou, en panthere et en chauve-souris. Parfois, il s’asseyait sur mes doigts a l’image d’un papillon noir, si velouteux qu’il etait difficile de ne pas serrer la main. L’aimer, ca signifiait se plonger dans un puis insondable forme des cercles de la tendresse et d’effroi. Il seduisait et maitrisat, ce Deuxieme, parce que l’obscurite signifie des enigmes et l’incertitude; y’a-t-il quelque chose de plus attirant?
 Mais le Troisieme est monte et il m’a souleve au-dessus de la terre ou la lumiere et l’obscurite du coeur partageaient le pouvoir. Or, le pouvoir du Troisieme etait illimite.
 Il etait sec et dur comme les arbres qui se cramponnent aux falaises . Ses yeux changeaient sa couleur. Il dominait l’humidite des nuages et le feu des foudres. Des mots etaient sa musique parce que les mots des messages, c’est le ventre. Or, le Troisieme etait le dominateur du ventre. Tous les ouragans, les trombes, la respiration des etres minuscules, tous les aromes et les sons, mais egalement la peste, des epidemies et la demence generale, - tout ca, c’etait son royaume.
 On ne pouvait pas l’aimer. Mais se soummetre a lui, ca signifiait devenir sage, c’est-a-dire ouvrir son ame a l’eternite, a la mort et a la solitude. Cela n’etait pas le bonheur, mais je n’avait deja plus besoin du bonheur.
 Le Triangle etait si pur, si irreprochable! Le Quatrieme a apparu dans mes reves, et ses reves etaient sacrileges. J’avait l’impression de voir un pointille scintillant et une reflexion retournee du sommet. Le Troisieme appelait, riant, le Quatrieme “son sosie”. Le Quatrieme ne m’a pas ouvert la nature de son pouvoir.
 Il etait triste et gai, triomphant et soumis. Il disparaissait et s’enflammait comme un diamant sous l’eau sombre. Il me disait:
- Tout passe. Rien ne passe jamais. Ce sont seulement des choses qui unient des contrastes, qui sont viables. Voila la solution de l’immortalite: tout est terrible; rien n’est terrible. Tout est terrible, formidable, mortel, eternel, veritable, illusoire... J’acheve le cristal pour qu’il ne s’acheve jamais.